Lettre à ma biographiée :
Valérie*

*Par respect pour l’anonymat de Valérie, le prénom a été changé

      Assise bien droite dans ton salon, tu sembles déterminée. Il n’y a aucune hésitation dans tes mots, ton passé coule vers moi sans silence ni doute. La parole d’une femme convaincue de son droit à dénoncer. Convaincue par la nécessité de raconter.

      Je note, frénétiquement, levant parfois mes yeux vers ton visage concentré. Sourcils légèrement froncés, tu retraces le fil de ton histoire ; ton île de naissance dont tu te souviens à peine. Les pleurs des autres enfants, à tes côtés, dans l’avion. Votre arrivée sur le tarmac de l’aéroport, en métropole. Tu précises ton âge, le jour de ton enlèvement ; bientôt quatre ans.

      Tu ne trembles pas — moi je me retiens. J’essaie de ne pas penser à ce que je ressentirais, si c’était mon enfant qu’on avait pris.
      Tu ne laisses rien paraître de ton émotion. Tu restes factuelle ; c’est nécessaire, pour faire comprendre la réalité de ton récit.

      Un écran nous sépare. C’est la webcam que tu regardes, mais cela n’enlève rien à la détermination que tu dégages.
      Je m’aligne à toi. J’inscris avec peine mais application  chaque anecdote qui retrace les maltraitances causées par tes « éducateurs d’adoption ».  Ces deux inconnus que tu as dû appeler « papa et maman ».
      Tu ne veux pas d’apitoiement. Tu veux rompre le silence. Réclamer justice.

      Tu ne le sais pas bien sûr, mais en t’écoutant, je pense à ma grand-mère… Elle est née sur la même île que toi.

      Je note, je note. J’espère parvenir à retranscrire ta force. Je devine que ton témoignage va au-delà de nous.
      Il est pour les deux mille autres enfants réunionnais qui ont vécu le même arrachement à leurs racines, entre 1962 et 1984.

Extrait (anonymisé) de la biographie de Valérie

      Des années d’enquête ont été nécessaires pour tirer le fil de ma vie.
      J’avais besoin de savoir. Je devais trouver un moyen d’arrêter le tournoiement des questions dans ma tête. Dénicher, enfin, ces réponses qui se cachaient depuis le jour où l’on m’a forcée à m’asseoir sur le siège d’un avion.
      Mon esprit, lui, n’avait jamais quitté l’île de la Réunion.

    Pendant longtemps, ma sœur a été mon seul ancrage. Nous ignorions tout de notre histoire. Mais au moins, nous subissions ensemble cette tempête. 

    C’est en 1997 que le paysage a commencé à s’éclaircir et que de nouvelles informations me sont parvenues. Notre dossier de la DDAS était clair : il n’existait pas d’acte d’abandon. Aucune attestation, aucun document légal avérant les dires de nos éducateurs.
      Un employé du conseil départemental confirma cette vérité cruciale : notre mère n’avait jamais signé quoique ce soit, pas même d’une simple croix.
     
Elle ne nous avait pas abandonnés.
      Jamais.

     En 2015, un reportage sur « les Enfants de la Creuse » a achevé d’éclairer mon histoire. Des dizaines de portraits d’adolescents défilaient sur mon écran de télévision. Des noms inconnus, des visages anonymes en qui, pourtant, je me reconnaissais. Leurs blessures ressemblaient aux miennes.

      Tout mon être se redressait brusquement. La douleur me submergeait autant que les réponses, les larmes coulaient, je comprenais enfin la réalité de mon enlèvement, la souffrance de ma famille, les mensonges du pays dans lequel j’essayais, difficilement, de construire ma vie. Je n’étais pas folle. Je n’étais pas coupable.

     Durant deux ans, je me suis noyée dans cette vérité que j’avais pourtant recherchée.

      Il faut laisser le temps au cœur d’accepter

Pour en savoir plus sur les « Enfants de la Creuse », ces enfants réunionnais enlevés par le gouvernement français dans les années 60, cliquez sur la plume :

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