L'évidence & l'essentiel

Cela n’aurait pas dû être

       Toi et moi, cela n’aurait pas dû arriver. J’étais censée me trouver à Toulouse, ce soir-là. À une décision anodine, dérisoire — celle, toute simple, de rester plus longtemps à Paris et d’assister à un anniversaire — jamais nous n’aurions construit notre histoire.

      Je me souviens qu’en entrant dans l’appartement de ma cousine, tu as été la première personne que j’ai aperçue. Là, juste en face de moi. Tranquille. Serein.
       Je venais pour célébrer l’anniversaire de son mari ; toi, celui de ton frère. Finalement, cette fête est devenue notre bulle, à tous les deux.
       Tout de suite, tu m’as plu. Ce n’était pas un coup de foudre, mais plutôt un… Appel. Oui, quelque chose en toi m’appelait, un intérêt inexplicable, la sensation profonde que je t’apprécierai. Je sais que tu seras heureux que je l’admette enfin !
       Il n’y a pas eu de drague entre nous. Aucun flirt. Seulement la connexion entre deux inconnus, réunis alors qu’ils n’auraient pas dû l’être. Tu t’étais libéré pour ton frère ce soir-là, malgré ton engagement ailleurs, ignorant qu’autre chose allait s’ouvrir pour nous.
       Cela sonne cliché bien sûr, et ça te fera peut-être sourire, mais c’est comme si le destin avait décidé pour nous. Toutes les coïncidences se sont alliées, mises d’accord, pour que nos routes se croisent.

       Aujourd’hui, alors que nous approchons doucement de nos dix ans, je repense à tout ce que nous avons traversé depuis cette nuit de juin 2017. À quel point tout est allé vite entre nous. Comment, en seulement quelques mois, nos vies se sont mélangées, fusionnées.
        Enlacées pour toujours.

Les rires du canal Saint-Martin

       La chaleur est insupportable ce 21 juin 2017. L’air se gonfle, alourdi par le soleil et la foule qui s’amasse pour la Fête de la musique. Je découvre Paris au gré des ruelles et des musiciens, essoufflée par nos heures de marche. Mes pieds fatigués me font mal. La journée devient plus difficile encore pour toi — en ce jour de ramadan, la température est étouffante.
        Mon cœur, lui, reste léger. Je suis heureuse de me retrouver là, près de toi.

      Je me souviens de notre arrivée sur le pont du canal Saint-Martin. Un moment anodin pour toi, peut-être… Pourtant, ces instants ont été notre première intimité. La première fois que nous nous sommes ouverts l’un à l’autre.
       Autour de nous, ce n’est que rires et discussions en attendant la venue des musiciens, mais toi, tu restes silencieux. Peut-être intimidé, sans doute fatigué…
       Moi, au contraire, je ressens cette envie de te découvrir plus encore. De gratter pour apercevoir ce qui se cache derrière la tranquillité et la timidité. Nous parlons dessin ; tu m’avoues gribouiller parfois dans ce petit carnet que tu as sur toi. Tu me le montres — je ne reconnais rien. Est-ce une tasse ? Un sac ? Aucune idée. Tu souris, plus amusé que vexé. J’aime ce sourire que je découvre ; je pousse pour le conserver, je te chambre, nous nous taquinons.

        Tes talents de dessinateur n’ont pas jailli, ce soir-là. Mais nos rires ont résonné pour la première fois, au milieu de la foule du canal Saint-Martin. 

Se laisser emporter

        Après nos esprits, ce sont nos corps qui se rapprochent. De tous côtés, ça bouge, ça danse, sur une musique africaine chorégraphiée.
      Moi, je te suis, impressionnée par ta spontanéité, tes talents de danseur — et surtout par ce sentiment, incroyable, de ne pas m’inquiéter de ton jugement. J’oublie mes deux pieds gauches, j’oublie le malaise que je me traîne d’ordinaire quand je dois danser, j’oublie l’opinion des autres. Je me laisse emporter, j’arrête de réfléchir, je savoure ce moment de lâcher-prise que tu m’offres.
        Et je te regarde — tu danses si bien.

       La nuit se fait plus douce, la Seine scintille sous le ciel nocturne et les lumières de la ville. Le béton vibre sous les pas des Parisiens et l’écho des instruments de musique.
       La fête nous entraîne jusqu’au quartier Saint-Michel et ses ruelles étroites. Partout, la foule. Partout, la joie.
       De temps en temps, tu saisis ma main pour ne pas me perdre dans ce chaos. Mon cœur part en vrille chaque fois… Je comprends que ce n’est pas normal, quelque chose se passe, quelque chose débute, je ne mets pas encore de mots dessus. Je continue de me laisser emporter — par le monde, par la musique et surtout par toi.

       Marcher, danser, discuter, danser, rire, marcher, danser. Se prendre la main. Nous tournons dans cette boucle enivrante. J’ai oublié la chaleur écrasante de la journée, maintenant j’oublie la fatigue de la nuit.

       Il est quatre heures du matin lorsque nous réalisons que le métro est fermé. Tu me suggères de marcher jusque chez toi pour que tu me ramènes ensuite en voiture. 
        Avec du recul, je me dis que ta proposition n’avait aucun sens ! Nous étions à Montparnasse, ton appartement se trouvait à Châtillon ; une heure de marche nous attendait encore.
        Mais à ce moment-là, moi aussi j’espérais rester près de toi. Nous avions prévu une simple soirée ensemble et, déjà, la nuit s’achevait. Jamais je ne m’étais connectée si vite à un homme. Tout de suite, je me sentais en confiance avec toi. Je devinais un balbutiement, une légère étincelle. Je refusais qu’elle s’éteigne ici, dans cette rue de Montparnasse.
       Alors, nous avons continué de marcher. Continué à rire et à discuter, pendant que les quartiers de Paris commençaient à s’endormir.

        Une fois dans ta voiture, je réalise que, si je garde mes pensées pour moi, cette nuit sera la dernière. Que ta timidité naturelle t’empêchera de me proposer un autre rendez-vous.
        Nous approchons de l’immeuble de ma cousine, et je sais que je vais devoir me dépasser. Agir. Je veux te revoir. Je veux que cela continue. Je dois te le dire. J’ai peur. Je ne fais pas ce genre de chose d’ordinaire.
        Tu te gares. Le moteur s’arrête. Mon cœur s’emballe. Je veux te revoir. Je sens que quelque chose d’important s’est déroulé cette nuit. Je dois te le dire. J’ai peur.
         — Je ne te demande pas si nous allons nous revoir, mais quand nous allons nous revoir ?
         Finalement, nous nous sommes revus chaque jour, jusqu’à mon retour à Toulouse.

Extrait d’une biographie de couple (réalisée après un entretien d’1h30. 46 pages).

Publiée avec l’accord de la narratrice.

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